Bernard Stamm dispose d'un délai de 24 heures (soit au plus tard jeudi matin) après réception de la décision pour demander à ce même jury la réouverture de l'instruction conformément à la règle de course 66 en précisant les motifs. Sans demande de réouverture à l'expiration de ce délai, la décision sera considérée définitive. Le comité de course dispose du même droit.
Les autres concurrents en course disposent également de ce droit mais dans un délai de 6 heures à partir de la réception de la décision pour demander réparation s'ils se considèrent lésés par la décision du jury.
Voici, dans le détail la réclamation du comité de course contre Cheminées Poujoulat, les faits établis, la conclusion et la décision du jury.
Faits établis
Le 22/12, Bernard Stamm décide de se dérouter vers Auckland Islands pour réparer ses hydrogénérateurs. Jusqu'au 23 12 à 04h00, Bernard Stamm navigue par ses propres moyens aux abords de Sandy Bay, se préparant à mouiller.
A 04h53, Bernard Stamm se mouille dans la baie après avoir déplombé le moteur et le mouillage lourd.
A 20h00, Bernard Stamm remarque la présence d'un navire scientifique russe Professeur Khoromov mouillé près de sa position. Puis, dans la demi-heure qui suit, Bernard Stamm remarque que son bateau dérive.
Voyant que son bateau dérive vers le navire scientifique, Bernard Stamm l'appelle par VHF. Au cours de la conversation avec l'équipage, ce dernier lui propose d'amarrer son bateau au navire. Considérant l'urgence de la situation, Bernard Stamm décide de se servir du navire comme ancre et informe l'équipage de sa décision par VHF.
Ensuite, Bernard Stamm prépare le bateau pour le relancer, prépare les voiles et remet tous ses appareils en route.
En ressortant dans le cockpit, Bernard Stamm s'aperçoit qu'une personne est montée à bord et qu'elle a commencé à remonter l'ancre.
Bernard Stamm lance le moteur et met le pilote automatique, puis va à l'étrave pour remonter l'ancre. Bernard Stamm décide de ne pas demander à la personne de quitter le bord « Quand je l'ai vu à bord, je n'ai pas trouvé d'argument qui justifiait le fait de le renvoyer du bord. »
Bernard Stamm retourne aux commandes moteur et à la barre et la personne à l'étrave jette le câblot sur le bateau russe pour l'amarrer. Immédiatement après, la personne quitte Cheminées Poujoulat et redescend sur son peumatique.
Quand le bateau a été correctement amarré derrière le Professeur Khoromov, Bernard Stamm va dire bonjour aux deux personnes dans le pneumatique, et ils lui proposent leur aide. A ce moment, Bernard Stamm explique clairement la situation, qu'il est en course, qu'il n'a pas droit à quoi que ce soit comme assistance.
Bernard Stamm considère que c'était un cas de force majeure pour lequel il fallait agir de sorte à mettre le bateau en sécurité et ne pas créer de problème au navire mouillé à côté.
Conclusion
S'amarrer sur un autre bateau constitue une infraction à la première phrase de l'Avis de Course 3.2. En ne demandant pas à la personne sur son bateau de quitter le bord quand il l'a découverte, Bernard Stamm a enfreint la seconde phrase de l'Avis de Course 3.2.
L'amarrage de Cheminées Poujoulat au Professeur Khoromov a été effectué avec l'aide de la personne à bord et de l'équipage du Professeur Khomorov. Ceci constitue une infraction à la seconde phrase de l'Avis de Course 3.2.
Bien que non demandée, l'assistance du membre d'équipage reçue par Cheminées Poujoulat pour sécuriser le bateau et pour éviter de créer des problèmes au Professeur Khoromov constitue une infraction à l'Avis de Course 3.2, et le contact matériel avec un autre bateau en s'y amarrant constitue une infraction à l'Avis de course 3.2 et au Principe de l'Avis de Course 3.
Décision
Cheminées Poujoulat est disqualifié du Vendée Globe en application de la quatrième phrase de l'Avis de Course 3.2 et de l'instruction de course 11.2.
Les réactions
A près de 2700 milles des leaders, le groupe Gamesa-Mirabaud- Acciona 100% Ecopowered- Akena Vérandas et Cheminées Poujoulat plonge dans le sud après avoir passé l’avant-dernière porte Pacifique (Ouest).
Mais Bernard Stamm a d’autres préoccupations que la régate.
Le 1er janvier à 18 heures, le Jury International a rendu son verdict, suite à l’arrêt du marin suisse dans les îles Auckland et à son amarrage sur un bateau scientifique russe. Cheminées Poujoulat a enfreint la règle 3.2 de l’avis de course (relative à l’interdiction d’assistance) et est disqualifié. Joint au téléphone ce midi, Bernard n’a pas caché sa déception et son désarroi. Il a fait le choix de demander la réouverture du dossier, comme le règlement l’y autorise. Avec franchise et honnêteté il a fait le bilan de la situation, expliqué que ses problèmes techniques l’obligeant à bricoler sans relâche depuis les côtes portugaises, puis à s’arrêter à deux reprises pour réparer, avaient déjà hypothéqué son classement dans la course. Et que, quelle que soit la décision du Jury après le réexamen de son cas, il terminerait son Vendée Globe, même hors course.
Quoi qu’il advienne, cette décision n’effacera en rien le courage et la combattivité dont fait preuve Bernard depuis le début de cette aventure. Son humilité aussi. En début d’après-midi, il envoyait une bien douce image du ciel, accompagnée du commentaire suivant : « un peu de beauté naturelle pour alléger l'ambiance pesante. C'est un grain éclairé par le soleil de l'aube. Le brouillard a fini par se dissiper, je suis resté avec depuis la Nouvelle Zélande. Ça fait du bien. Bernard ». Un peu de douceur dans ce monde de brutes….
Comme vous pouvez le penser ça pourrait aller mieux. J’ai le droit de demander la réouverture du dossier donc c’est ce que je vais faire, je pense toujours avoir agi dans l’esprit de la course. Je pense que le jury n’a pas tenu compte du contexte, j’ai agi pour la sécurité de mon bateau. Le bateau russe Professor Khromov est arrivé dans la nuit, alors que j’étais déjà au mouillage. Je l’ai vu par hasard au lever du jour, il ne faisait pas beau avec du brouillard et peu de visibilité. Assez rapidement mon ancre a commencé à chasser et comme il était sous mon vent et très proche, il y avait un risque qu’on entre en collision. Tout s’est passé très vite, je n’ai pas pensé au règlement. J’ai pensé à ce bateau comme à une ancre, je n’en avais pas d’autre, les fonds sont couverts d’algues là-bas et mon ancre glissait dessus. Il fallait trouver un endroit solide... ou bien repartir en mer mais je n’avais pas fini mes réparations et n’avais aucune réserve électrique. Je pense que le Vendée Globe et l’IMOCA ont besoin que les bateaux reviennent, qu’ils ne finissent pas sur les cailloux. Je vais demander la réouverture du dossier en essayant de faire comprendre ce qu’il s’est passé (…) Je suis au milieu du Pacifique Sud, donc m’arrêter là ce serait compliqué... Et si vraiment ça ne se passe pas bien, il faut reconnaître qu’on n’aura pas attendu le Jury pour malmener notre projet sportif. Avec mes soucis d’hydrogénérateurs, on aura réussi à le faire tout seul, ce qui m’arrive n’a jamais amené un bateau en tête. Mais je veux mener à terme mon projet de faire mon tour du monde, et comme je suis aux antipodes il faut bien que je le finisse pour rentrer. Mais au-delà de ça, nous avions également monté un projet scientifique et rien ne m’empêche de le mener à bien.
Bernard Stamm (SUI, Cheminées Poujoulat)
Le jury international est composé de membres venant d’autres pays que la France, nommés par la Fédération Française de Voile. C’est un jury totalement indépendant de la direction de course et du reste de l’organisation. Leurs textes sont très clairs et dans le cas de Bernard, ils ne peuvent aller que dans ce sens là. Malheureusement leurs décisions ne conviennent pas toujours, il y a souvent un sentiment d’injustice. Mais hélas c’est comme ça, le jury est souverain. Comme dans tous les sports, c’est l’arbitre qui a raison. Comme Mike Plant en 1989 dans l’île de Campbell, qui s’était arrêté pour réparer. Des gens de l’île étaient venus l’aider pour sauver son bateau. Mike Plant s’était en quelque sorte auto-disqualifié et a continué sa course en arrivant aux Sables d’Olonne hors course. Bernard est un redoutable marin, il va se battre, j’espère qu’il va trouver des solutions mais il faudra malgré tout accepter la décision du jury après cet « appel ». Les gens viendront l’acclamer de toute façon, ils viennent toujours accueillir les marins aux Sables : classés ou non classés, premiers ou derniers.
Alain Gautier (vainqueur en 1993 et consultant sécurité)
Ça va super, je suis content d’être arrivé dans l’Atlantique après avoir passé le cap Horn. C’est symbolique mais je suis très content de l’avoir passé en tête, ce n’est que du bonheur. La première fois ça fait forcément quelque chose, j’espère que les prochaines seront toujours aussi fortes. On vit de bons moments dans les mers du sud, mais on en passe aussi des difficiles. C’est une bonne chose quand ça s’arrête.Aujourd’hui le vent s’est calmé, il y a un peu de soleil, ce n’est pas déplaisant d’être dans ces conditions. Après le cap Horn, c’était impressionnant de voir le changement d’atmosphère en à peine quelques minutes. La mer s’est aplatie d’un coup alors que deux heures auparavant on se faisait secouer à cause du plateau continental. La mer était vraiment dégueulasse donc c’était vachement agréable de retrouver un peu de mer plate après un mois sans en avoir. Ça ne bouge pas, on peut monter sur le pont sans se faire mouiller et j’arrive à vous entendre sans me boucher l’autre oreille donc c‘est agréable. Je suis passé à 2,5 milles du cap Horn et bien qu’au début je ne le voyais pas du tout, j’ai fini par apercevoir un bout de terre à l’étrave, quand la nuit est tombée.
François Gabart (FRA, MACIF)
Le Vendée Globe est LA course ultime en solitaire. Nous devons en accepter les règles et l'absence d'assistance nous oblige à une totale autonomie. Je pense que je comprends le processus derrière la décision. Les règles sont les règles, etc. Mais quand vous connaissez l'histoire de Bernard et la situation dans laquelle il est, avec une grande partie du Pacifique Sud à parcourir, puis le Cap Horn et la menace des icebergs, ça parait très injuste. Ça semble ne pas être une bonne décision. Mais comme je l'ai dit, les règles sont claires et malheureusement avec les informations que j'ai, il semble que ces règles ont été violées par inadvertance. Et c'est, je pense, un point considérable : par inadvertance. Je suis vraiment réservé sur cette décision, elle ne me semble pas correcte et je suis vraiment, vraiment très triste pour Bernard. J'espère qu'il pourra faire appel et rester en course. La course pour les leaders, c'est d'être leader, mais pour une majeure partie de la flotte - dont moi - cette course c'est d'abord l'atmosphère du départ, de l'arrivée et la fantastique aventure qu'il y a entre les deux. Les classements, les positions sont bien sûr des choses que vous suivez avec intérêt, ça vous oblige à continuer de pousser le bateau, de vouloir rattraper ceux qui sont devant etc, mais ce n'est pas l'unique objectif du Vendée Globe. À son retour aux Sables d'Olonne, je suis sûr que Bernard sera accueilli comme tous les autres bateaux, peut-être même plus. Bernard est un skipper très populaire, et un homme adorable, il a travaillé si dur pour ce projet. Toutes les personnes qui l'ont accompagné dans cette aventure et toutes les personnes qui le suivent vont être véritablement déçues par ce qui va leur sembler être une décision sans cœur. Bernard doit être accablé. Je comprends vraiment et c'est presque une réplique de ce qu'il s'est passé il y a quatre ans, quand la sécurité du bateau et de ce qui l'entoure passe d'abord.
Mike Golding (GBR, Gamesa)